Les nouvelles de Monique VAAS alias Maudrée
Illustration Monique VAAS

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Nouvelles

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L'ELEVEUR QUI VOULAIT S'ELEVER
ou l'OPULENCE OSTENTATOIRE


LE FLEUVE "TEMPS" ...

MAIS, QU'EST-CE QUI CLOCHE ?

LE PERE NOEL ... FACE AUX TECHNIQUES "EVOLUTIVES"

L''éleveur qui voulait s'élever
ou l'opulence ostentatoire

Un fier éleveur, "pansu" et propriétaire, dont les affaires étaient très prospères avait conçu le projet, pour les fêtes de fin d'année, de festoyer princièrement ! Non seulement parce que, personnellement, il savait y prendre plaisir étant expert en l'art du "bien déguster" (tous éléments "solides" et liquides confondus !), mais encore et surtout, pour démontrer à son entourage quel personnage important il était devenu ! N'était-il pas assez fortuné pour se permettre de convier la quasi-totalité de sa petite ville, sans la moindre gêne ou appréhension quant à amoindrir son précieux pécule ! Il songeait aussi à élargir le cercle de ses relations car, dans ce domaine, il y avait presque pénurie, la société où il souhaitait accéder ne l'appréciant guère… Peut-être parce que la culture qu'il avait développée se situait à un niveau… où la réputation, comme les fréquentations peuvent s'avérer frustrantes et rédhibitoires !

Pour tout dire, cette culture était assez rudimentaire (voire rustre…), essentiellement "fermière", puisqu'il occupait la majorité de son temps à élever et à vendre… de jeunes oies et des porcelets ! (et que croyez-vous que les "porcs firent"… qui n'étaient pas de roche volcanique (porphyre), mais de tendre chaire "goûteuse" et fort recherchée !) Quant aux oies, charmantes, toutes blanches avec de jolis yeux bleus, c'était à qui les "plumerait" ! (elles avaient autant de succès que les "Bernaches", leurs lointaines cousines canadiennes !), mais leur espérance de vie était loin d'être aussi enviable… Bien sûr, le sort du précieux cheptel se décidait lors de foires intercommunales organisées et qui connaissaient un grand succès à des lieues à la ronde ! Ce qui avait consolidé la situation financière de notre "opulent" paysan, homme d'affaires avisé qui peaufinait sans relâche des stratégies d'expansion…

Pourtant, des nuages s'étaient tout récemment installés dans un ciel d'ordinaire radieux… Ô, non pas à cause d'un revers de fortune qu'il aurait pu essuyer, aucune contrariété ne venait de ce côté-là, mais c'était plutôt à un rêve étrange qu'il devait son malaise, il serait plus approprié de parler d'un cauchemar, en fait, et qui était parvenu à l'angoisser, ne cessant d'assombrir son humeur. Il éprouvait à présent une sorte de curieux pressentiment qui conférait aux festivités à venir des allures de "menace orageuse" et le conduisait à s'entourer d'infinies précautions. Depuis, il évaluait et analysait les moindres détails de l'organisation de ce grand jour dont les préparatifs mobilisaient toute son énergie ! Mais quel bizarre avertissement avait-il bien pu recevoir pour en être ainsi troublé ? Il n'est pas temps de le dévoiler, à ce stade du récit, mais, par contre, pour une meilleure compréhension des faits qui vont être relatés, mieux valait le mentionner dès à présent car il joue un rôle majeur et, par conséquent, ne saurait être ignoré…

Notre prétendant au titre de "Hobereau", campagnard avisé, gérait donc parfaitement une fortune assez colossale. Ainsi, avait-il pu acquérir récemment une vaste propriété "classée", en pierres tricentenaires, aux allures de château, avec dépendances, pièces d'eau et vaste parc magnifique, l'ensemble étant situé non loin des bâtiments et enclos où se pratiquaient toutes les activités d'élevages dont il tirait ses fabuleux revenus. C'est dans ce prestigieux petit château qu'il comptait recevoir avec faste quelque trois cents invités ! Les salles étaient suffisamment nombreuses et spacieuses pour que tous les citadins puissent s'y engouffrer et les convives ne manqueraient là ni d'espace pour se mouvoir, ni surtout de victuailles pour s'y restaurer.

Mais, gardez-vous d'anticiper et d'imaginer que le menu comportait de savoureux porcelets rôtis ou une multitude d'oies farcies ! Non, vraiment non, car trouvant ces suggestions de repas trop "banales" et dépourvues de fantaisie, l'hôte inspiré avait tenu à recourir, pour les "plats de résistance", à des animaux essentiellement "exotiques" qui provenaient, évidemment, d'autres pays que celui où il élevait ses bêtes, qu'elles constituent d'excellents rapports n'entrant pas ici en ligne de compte. Il avait donc parcouru de nombreux kilomètres et visité bien des spécialistes, bien des "traiteurs", pour avoir enfin satisfaction et que le fameux rapport "qualité/prix" soit en adéquation avec ses objectifs ! C'est ainsi que des "sources bien informées" (indiscrétions commises par l'éditeur des menus, qui sait ?) avaient détecté et révélé la présence de : kangourous, d'autruches, de jeunes phacochères, etc., (sans parler des poissons insolites, mais comestibles, il fallait l'espérer (?) : petites raies façon "manta"…, espadon, etc., ces produits marins incluant également des poulpes, des crabes géants, des araignées de mer…) car l'originalité, vous l'avez bien perçu, devait présider à ces agapes qu'il voulait sans égales et donc, mémorables !

Il n'est pas inutile d'insister sur l'effet de surprise qui était recherché avec ostentation. Il visait à rendre les convives littéralement béats d'admiration, (sinon de reconnaissance…) leur fournissant la preuve éclatante d'un "art de recevoir" et de vivre, par extension, que leur hôte tenait à porter au plus haut niveau… Il proclamait d'ailleurs, en aparté : "quand on est bien, on y revient"… : c'est dire s'il privilégiait le "long terme" et escomptait quelques "retombées" de ce gigantesque festin ! Tous les notables du département y avaient été conviés et les quelques châtelains encore "nantis" (leurs titres de noblesse étant jugés insuffisants…) devaient y faire acte de présence. Ah, "rien que du beau monde" affirmait l'instigateur de cette rencontre qui était au summum de l'excitation !

Son château "à lui" avait même subi quelques transformations intérieures : d'antiques tapisseries avaient été décrochées pour le céder à des écrans de télévision géants, tout autour des salles… Ces écrans devaient distribuer un programme de spectacles et de divertissements soigneusement préparés par le maître des lieux, pour que les participants à ce grand banquet se récréent, tout en festoyant et, plus tard, en continuant à déguster des desserts et des liqueurs ! L'organisateur s'en expliquait avec un franc-parler qui ne trompait pas sur ses origines, mais n'entamait en rien sa bonne volonté, sinon sa "générosité"… : "il faut bien laisser le temps à tous ces braves gens de régurgiter tranquillement et même, de dompter d'autres désirs naturels…, bref, de se "détendre !". Incontestablement, il semblait avoir tout envisagé !

Le même "soin" avait été réservé aux éclairages et sources lumineuses : lustres de cristal, pour tout le temps que dureraient les grands repas (il fallait que chacun puisse "voir" nettement le contenu de son assiette !), puis, par la suite, des chandeliers décoratifs entreraient en scène, projetant des lueurs moins vives… Les glaces immenses et nombreuses disséminées le long des parois réfléchiraient superbement ces effets de lumières. Après le temps des surprises pourrait alors se profiler celui des "digestions"… arrosées ! Quant aux tables, ces supports indispensables sans lesquels rien n'eut été possible, elles étaient, elles aussi, luxueuses quant à leur bois et somptueusement "nappées" ! La vaisselle choisie était "à la hauteur" de l'évènement : porcelaines, argenteries, ensembles de verres à pied en Baccarat, (cinq pour chaque personne : apéritif, vins, verre à eau, liqueur et flûte à champagne !). Une mention spéciale revenait aux services de tables : nappes et serviettes de lin, de couleur vert opale et beige "champagnisé", délicatement brodées. Des gerbes et des bouquets ravissants étaient partout disposés, sur les dessertes, sur les meubles… et les sièges où chacun prendrait place étaient antiques, mais solides… : capitonnés et ultra-confortables ! Même la musique avait été prévue qui devait être diffusée en permanence et en fond sonore : des airs joyeux d'opérettes et quelques grands classiques, tels Vivaldi, Strauss, et même le génial Mozart avaient été sélectionnés !

Et le grand jour arriva… où tous les invités, sans aucune exception, s'en vinrent prendre part à ces festins auxquels ils entendaient bien "faire honneur"! Tous étaient vêtus de leurs plus beaux atours, de leurs derniers costumes flambant neufs, avec profusion d'accessoires coûteux, de fourrures et de bijoux ! C'était à qui "brillerait", à qui se ferait remarquer ! Des maîtres de cérémonie étaient chargés de placer tout ce "beau monde", en fonction d'un "rang" social, hautement valorisé en ces lieux… Puis, après d'interminables préambules, lorsque l'agitation inhérente à la réception des personnes se fut calmée, mettant un terme aux salutations et aux congratulations inévitables, le rituel des apéritifs put, enfin, s'installer qui tenait lieu, pour tout dire, "d'entrée festive en matière"… Sitôt placés, les convives avaient eu loisir de remarquer le raffinement régnant, à tous les stades, et leur attention avait été attirée par de charmants menus décorés détaillant - fait curieux et intrigant -, uniquement les hors-d'œuvres, les "entremets" et les desserts… mais aucun "plat de résistance" ? Par contre, la carte des vins était complète, mentionnant les millésimes, les provenances et incluant, aussi bien les apéritifs que les champagnes et les digestifs ! Un observateur caustique fit remarquer : "nous nous exposons à quitter la table avec "une pointe d'appétit", si j'en juge à la consultation de ce menu singulièrement "allégé"… ; à moins qu'il ne s'agisse d'un oubli incombant à l'éditeur, espérons-le… !".

Mais ces sarcasmes - qui avaient déjà trouvé des échos - retombèrent très vite, à défaut d'être étayés. En effet, nul invité n'eut sujet de se plaindre car tout avait été parfaitement organisé et prévu ! Les "palais" les plus délicats analysaient encore les plats nombreux et raffinés qui venaient de leur être offerts et qui avaient constitué un régal absolu, lorsqu'une voix se fit entendre, chaleureuse et qui réclamait l'attention de tous ! Leur hôte s'exprima alors en ces termes "mes chers amis, à présent, je vous ai réservé quelques petites surprises : vous auriez eu tort d'en croire les menus qui vous ont été attribués et, plus encore, d'en ressentir quelque frustration, car ils sont volontairement… incomplets ! Je ne me permettrais pas de vous convier à un festin qui serait amputé de sa meilleure part ou de la plus substantielle, en tous cas ! Simplement, désormais, tout ce qui va vous être servi sera annoncé préalablement… sur les écrans que j'ai fait installer à votre attention et que j'active actuellement. A titre d'exemple, et puisque le premier plat "carné" qui va vous être présenté n'est autre qu'un rôti de jeune kangourou, vous allez pouvoir l'identifier visuellement. Ces animaux provenant d'Australie, lointain pays où vous n'aurez peut-être jamais l'occasion de vous rendre… des paysages de ce Continent vont être projetés devant vous. Vous pourrez ainsi y admirer ces étranges kangourous évoluant dans leur milieu naturel… avant qu'ils ne viennent jusqu'à vous… dans vos assiettes et que vous ne goûtiez à leur chair délicieuse ! Bon appétit, donc ! J'ajoute encore qu'à chaque nouvelle espèce de viande, le même procédé sera appliqué pour vous permettre de porter – du moins je l'espère – votre plaisir gustatif à son paroxysme… sans négliger "d'alimenter" votre culture intellectuelle et de satisfaire à un légitime désir d'évasion ! Enfin, mes chers amis, je précise que, du deuxième repas partagé sous mon toit, les viandes seront radicalement exclues puisque, seuls, les produits de la mer y seront servis ! Mais attendez-vous à des émotions intenses, lorsque des parties de pêche à l'espadon, en plein océan déchaîné, vous seront montrées, alors que vous dégusterez, dans le même temps, une profusion de délices marines ! Car vous régaler est mon souhait le plus cher et mon unique objectif !".

C'était une sorte de "trou normand", d'une folle originalité ! Un mutisme général et absolu s'en suivit qui traduisait éloquemment l'effet produit ! Décidément, cet hôte était inattendu, voire incroyablement inspiré et ses trouvailles avaient conquis l'auditoire improvisé ! Tout se déroula comme il l'avait annoncé : chaque plat, chaque recette inédite digne de se targuer d'appartenir au "substantiel" du repas, étaient amplement commentés et les lieux de provenance étaient alors découverts, incluant faune et flore et us et coutumes, grâce aux projections organisées !
Nullement soucieux d'être exhaustifs, citons l'autruche, également d'origine australienne, puis, très éloigné de là, l'orignal (servi en "tournedos") et, pour lui et son environnement canadien, les fourchettes s'immobilisèrent, malgré l'impatience des papilles, tant étaient magnifiques les décors flamboyants des sous-bois peuplés d'érables. Le sirop de ces arbres superbes était précisément à déguster, lui aussi, avec des crêpes, à l'heure des desserts… Mais nul n'en était parvenu à ce stade et les sujets d'étonnement étaient loin d'être épuisés : lorsqu'un "confit de phacochère" fut annoncé, ce furent alors les savanes africaines qui surgirent à l'écran, révélant la présence – en cohabitation – d'autres quadrupèdes dont il n'était pas souhaitable qu'ils aient osé figurer à ce menu original et "recherché" ! Entre parenthèses, à propos de ces sangliers, tout éleveur de porcelets devrait peut-être éviter de susciter leur jalousie… car l'instinct des animaux peut jouer de fâcheux tours et les inconvénients inhérents à leur proximité n'avaient, d'évidence, pas été suffisamment étudiés…
Passons pour l'instant sur quelques grognements intempestifs qui furent attribués à ces phacochères d'Afrique qui paradaient comme des vedettes de cinéma, exhibant leurs défenses recourbées si caractéristiques !

Mais déjà, sans savoir à quoi ou à qui l'attribuer, un léger "relâchement" de la satisfaction générale commençait à gagner l'assistance… Il était nettement perceptible et l'un des maîtres d'hôtel, plus vigilant que les autres, estima que ce "changement de climat" pouvait avoir sa source dans la tension nerveuse exigée des convives, lesquels perturbaient forcément, disait-il, leur processus de digestion en regardant trop intensément ces écrans géants ! Certes, le spectacle était apprécié de tous, jugé du plus haut intérêt et fort distrayant, quasi-magique, pour ainsi dire, mais, précisément, il requerrait trop de concentration et, en l'occurrence, il fallait choisir entre se cultiver, s'évader ou… se sustenter !! L'organisme ne pouvait tolérer d'être ailleurs, très loin… et là ! Autrement dit nourrissant à la fois copieusement le cerveau par des suggestions de voyages et, dans le même temps, l'estomac, par une multitude de mets riches et délicieux, sans conteste, mais qui ne trouvaient plus les conditions de calme requises pour que puisse s'accomplir le processus applicable aux plats ingérés !

Et, tel un petit grain de sable qui va dérégler le bon fonctionnement d'une organisation, apparemment parfaite, dès lors, quelques remarques suspicieuses se faisaient entendre qui portaient sur : la fiabilité du "traiteur" d'où ces viandes provenaient… En effet, n'avaient-elles pas été "affectées" par de si longs voyages ?… Et, si les dates de péremption avaient été inconsidérément "optimisées"… en inadéquation avec les circonstances ?… etc., etc ! Bref, pour tenter de minimiser les dégâts de cette vague déferlante, les projections mises en cause furent interrompues et les écrans éteints durent le céder à la diffusion de musiques joyeuses dont il est bien connu qu'elles adoucissent les mœurs (quand elles ne submergent les humeurs !).

Notre "châtelain", grand maître des cérémonies compromises, auquel ces "turbulences" avaient été rapportées et qui s'en inquiétait à raison donna des instructions pour que des digestifs soient prématurément servis, l'anticipation étant une stratégie qui en valait bien d'autres ! Quelques boissons "gazeuses" circulèrent également qui visaient, bien entendu, à libérer les "voies… digestives", dangereusement encombrées d'évidence ! "Il faut "dégager" tout çà", répétait cet hôte, sans se préoccuper de fioritures, l'essentiel étant, à ses yeux, d'être bien compris et vivement obéi !

Il ignorait encore que, parallèlement, une autre menace prenait de l'ampleur qui avait surgi lors du service de ce malencontreux plat de "phacochères", de provenance africaine ! Et tous ces nuages qui se formaient, s'amoncelaient, avaient, bien entendu, un rapport avec le cauchemar qui avait tant angoissé notre pompeux propriétaire, à la veille d'organiser de telles festivités ! En effet, comme précisé précédemment, les bâtiments où étaient soignés et élevés les porcelets et les troupeaux d'oies n'étaient pas très éloignés du château où devaient être servis les grands repas… Or, les secrets semblaient plus mal gardés que ne l'étaient les oies, lesquelles étaient parfaitement renseignées sur la composition des menus. Ainsi, elles s'étaient empressées d'informer les porcelets que la chaire (très chère !) des phaco…chères avait été préférée à la leur, jugée trop "commune" pour la circonstance !

Hélas, comme une vingtaine de jeunes porcs avaient été abattus deux jours avant, la communauté qui était toujours attristée par la mort de l'un de ses membres avait voulu se persuader – légère consolation – que le sacrifice de ses " membres"porcelets ne serait pas vain. Ils avaient alors tenté tristement de se convaincre qu'il rehausserait leur prestige et leur réputation (plus encore que celui de leur éleveur ingrat !). Or, apprendre que leurs affreux cousins africains dits phacochères avaient eu la préférence et les honneurs de la table et de la dégustation était vraiment plus que n'en pouvaient tolérer nos malheureux cochons déconsidérés ! Furieux, grognant à fendre l'âme et ruant dans leurs enclos, ils en avaient brisé toutes les structures et, serrés les uns contre les autres, solidaires, ils formaient un long cortège, rose et très mouvant, convergeant vers un unique but : les salles à manger de ce château où ils avaient été jugés indignes… d'être immolés et servis rôtis, quelle honte !!

Prises d'une folle agitation, les oies, elles aussi, adhéraient au mouvement de révolte, cacardant à l'envi, sifflant et voltigeant dans le plus grand désordre, accompagnées d'un tourbillon précurseur de plumes blanches ! Leurs jolis yeux, bleus d'ordinaire, en avaient viré au rouge sous l'emprise de la colère ! N'avaient-elles pas été dédaignées, elles aussi, au profit de ces grosses autruches inesthétiques, pataudes à souhait et plus capables de "gaver" le consommateur qu'elles ne pouvaient prétendre à le régaler !

Comment s'y prirent ces bêtes furieuses et solidaires pour se venger de l'affront qui venait de leur être infligé ? Il n'en demeure pas moins qu'elles trouvèrent le moyen de pénétrer dans les salles de réception, horrifiant et causant la panique parmi les invités, déjà suffisamment éprouvés et quelque peu nauséeux ! Le désordre et l'épouvante eurent tôt fait d'atteindre leur paroxysme, d'autant que "l'odeur" des porcelets était insupportable, tout autant que leurs grognements et que les dégâts qu'ils occasionnaient !
Quant aux belles oies, déterminées, elles voletaient rageuses parmi les tables et leurs occupants, distribuant généreusement des nuées de duvets blancs dont l'effet poétique indéniable n'était pas même remarqué ! De rage, elles "s'auto-plumaient" ! Il y avait eu récemment le fléau de la "vache folle", la "tremblante du mouton", c'était à présent le "porc dépressif" et la "dinde hystérique" qui allaient sévir !! A qui la faute : ah ! tous allaient s'en souvenir des velléités d'exotisme du châtelain parvenu… (parvenu à quoi, la suite des évènements allait apporter des éléments de réponse !) Mais sans aucun doute à rendre cette journée pour longtemps inoubliable, tant aux "bipèdes" sélectionnés qui avaient été invités qu'aux quadrupèdes et aux volatiles !
Leur estomac qu'ils sentaient bizarrement "barbouillé" n'empêcha pas tous les convives de déguerpir, abandonnant les salles du château et les tables couvertes de victuailles et de précieux vins : quel incroyable et déplorable gâchis ! Les desserts raffinés ne seraient pas même goûtés ! Comme si l'incendie avait menacé les lieux, dans le chaos le plus total et vociférant à qui mieux-mieux, ces invités distingués s'enfuyaient à toutes jambes, leurs manteaux ou leurs fourrures sur les bras, malgré la température extérieure contrastant avec l'ambiance chaleureuse qui avait régné jusqu'alors dans les salles d'une réception qui avait pris des allures de catastrophe irréparable et quelque peu vaudevillesque !

Attendez, attendez ! hurlait leur hôte pitoyable et désemparé, tout peut s'arranger, ce n'est pas fini ! Mais la "débandade" était irrévocable et il ne parvenait toujours pas à en comprendre les motifs, cependant qu'il assistait abasourdi à un concert extraordinaire de grognements intempestifs de ses porcelets, bruits honteusement associés aux accents enlevés des "quatre saisons" de l'illustre Antonio Vivaldi ! Les audacieux cochons semblaient à présent se régaler avec le contenu des assiettes encore copieusement remplies et auxquelles ils étaient parvenus à accéder, en "jouant du groin", tirant les nappes au sol ou parvenant à se jucher dans les fauteuils renversés ! Les oies, de leur côté, s'étaient posées partout : sur les lustres et, majoritairement, sur les tables où elles trouvaient à se nourrir, elles aussi, renversant les bouteilles et les verres de cristal de leurs battements d'ailes frénétiques !

Et, soudain, ce fut notre malheureux châtelain qui se sentit défaillir devant ce spectacle apocalyptique qui ruinait tous ses joyeux préparatifs et ses espérances ! L'un de ses maîtres d'hôtel (rescapé du naufrage !) arriva juste à temps pour empêcher qu'il ne soit piétiné par ses porcelets dont le comportement effraya même le vétérinaire appelé en renfort ! Vous vous souvenez à présent du cauchemar qu'il avait fait ? C'est opportun car c'était exactement cette scène bouleversante qui l'avait tiré de son sommeil et poursuivi longtemps après…

Furieux à juste titre, lorsque leur propriétaire voulut se débarrasser des responsables d'un tel désastre, il apprit, par les prises de sang qu'il avait fait effectuer sur ces porcelets et ces oies insupportables, qu'ils avaient tous développé des toxines et qu'ils étaient gravement malades, à tel point qu'ils devaient être déclarés INCONSOMMABLES ! Il ne restait plus qu'une solution à leur propriétaire : elle était peut être une folie, mais il s'estimait tellement victime de ce préjudice dont il avait pu, enfin, évaluer l'importance des dégâts et les "retombées" sur sa réputation qu'il entendait bien se venger ! Il allait donc faire regrouper ces "sales bestioles" et s'en débarrasser, et ce, dès demain ! Ensuite, il constituerait un autre cheptel (changeant peut-être d'animaux !) qu'il "parquerait" très, mais vraiment très loin du château et, entre temps, il irait consulter son médecin personnel… quelques anti-dépresseurs s'avérant nécessaires pour recouvrer son équilibre nerveux malmené !
Quant à "réparer" sa réputation ou "redorer le blason" qu'il s'était inventé, restaurer son "image de marque" allait être un objectif des plus difficiles à atteindre, il en était bien conscient ! Il arguerait donc d'une maladie fulgurante qui avait frappé ses troupeaux et ferait adresser à tous ces malheureux invités, une lettre d'excuses et d'explications…
Cette missive serait accompagnée d'un cadeau "d'importance", vu le préjudice… : une bouteille de Calvados millésimé, en carafon de grès, à l'effigie du père Magloire, par exemple ! Il y adjoindrait un service de petites chopes à dégustation, en faïence pour mieux s'accorder avec la rusticité du carafon : "çà devrait 'colmater' les dégâts", conclut-il, se parlant à lui-même et confiant en ses "moyens"… toujours inestimables et diversement étendus, soumis ici à la compréhension des "gens de cœur" (ses convives), "invités" à présent à relativiser ou à gérer (après avoir douloureusement "digéré" !) une navrante "affaire d'estomac" !

L'organisateur de ces agapes mémorables, lui, n'en "manquait pas d'estomac" et moins encore, semblait-il, de confiance en l'avenir ! L'utopie aurait-elle donc des propriétés soignantes qu'il faille recommander ? Pourtant, notre éleveur malchanceux d'oies et de porcelets imputait sa déconvenue tout simplement à "ces sales bestioles ingrates et sournoises", comme il les qualifiait désormais, pour évacuer une colère et une amertume qui s'acharnaient à le fréquenter… Et il concluait, en bon Normand, par une lamentation : "elles m'en auront fait perdre de l'argent, ces pestes là ! Heureusement, j'vais m'en débarrasser et, même "au rabais", tant pis, je récupèrerai ainsi un peu de mon investissement ! C'est pas demain que je me laisserai prendre à des "générosités pareilles" grognait-il, à son tour ! Qu'on me parle plus de faire de l'élevage, car j'ai bien retenu la leçon ! Et notre propriétaire, victime d'un excès de largesses ou "d'opulence ostentatoire", se confortait alors dans sa résolution en absorbant un grand verre de son délicieux "Calvados", afin de mieux supporter ou de dissiper ses contrariétés face à cette colossale "fête avortée", comme à tout ce qu'elle avait "coûté" (fatigues et insatisfactions incluses!).

Monique VAAS

Tous droits réservés - Monique VAAS - 2005

Le fleuve "TEMPS"...


Le TEMPS despotique peut être comparé à un fleuve qui s'écoule, impétueux, tout puissant et redoutable et ses débordements induisent une "navigation à hauts risques" ! Lassée d'entendre constamment le clapotis des vagues, l'héroïne de ces réflexions, d'une philosophie qui se veut consolante, n'aimait pas plus à être sollicitée par de tels bruits récurrents qu'elle ne tolérait la perspective d'avoir, en quelque sorte, "les pieds dans l'eau", contrainte à ne chausser que des bottes de caoutchouc ! Pensez donc : de tels accessoires n'étaient guère seyants et ne pouvaient s'harmoniser avec les manteaux, les tailleurs et les robes élégantes qu'elle aimait à porter. Et, quant à danser, que ce soit dans les bras d'un beau cavalier, selon les opportunités ou "devant un buffet" (bien garni, de préférence !), des escarpins, seuls, étaient jugés convenables ! Bien sûr et fort heureusement, ce "fleuve TEMPS" offrait des berges d'où l'humidité semblait exclue, bien qu'elle soit plus ou moins stagnante, et ces terrains relativement secs "soutenaient" toutes sortes de constructions, de refuges à l'intérieur desquels pouvait faire illusion un sentiment de protection contre les atteintes de ce Temps menaçant et résolu…

Il n'empêche, l'auteur de cette étude, prénommée Clémence, (il en faut bien !) prenait conscience, au point d'en être presque angoissée, que "l'élément liquide" était si présent dans chaque vie qu'il faisait planer une menace constante de "débordements", d'accidents et ce, depuis la naissance ! Tous et toutes en étaient immanquablement dépendants ! A présent sexagénaire, elle avait vu le jour dans l'EURE et, déjà, cette charmante rivière avait manifesté quelques velléités de souveraineté ! Ne lui rappelait-elle pas constamment un concept de "ponctualité" qu'elle jugeait déjà bien embarrassant et tellement contraire à l'esprit d'indépendance qui la gouvernait qu'elle l'eut volontiers… noyé dans ses eaux ! Mais elle ne pouvait prendre le risque de se fâcher avec l'Eure, au demeurant si séduisante ! En effet, elle offrait une douceur, un charme qui, fort heureusement, tempéraient ses exigences et ses" suggestions" : ne lui octroyait-elle pas des "temps" de récréation inoubliables, lorsqu'elle l'invitait à la suivre, elle, la serpentine, s'insinuant gracieusement au travers des prairies, gorgeant le sol de promesses ! Elle rafraîchissait alors généreusement les racines des vigoureux pommiers ou favorisait la naissance des tapis de boutons d'or satinés qui éblouissaient partout les étendues verdoyantes !Tantôt, taquine, elle passait sous un pont, quand elle ne s'improvisait pas architecte, pour alimenter la roue d'un moulin insolite et bienvenu, en pleine campagne où il devenait une étape obligée !

En ce temps-là, Maria, sa grand-mère, l'accompagnait toujours essayant de nourrir l'esprit curieux de Clémence et lui affirmant que nul plaisir n'était supérieur à celui de "suivre le fil de la rivière", l'eau étant l'élément vivifiant par excellence, affirmait-elle ! Mais, quant à parler de fil, il en existait d'autre sorte et dont les bobines, à l'instar des vies, se dévidaient à vive allure… La mère de notre narratrice étant également couturière, il est évident que ce mot, d'une fragilité attendrissante, avait une place de choix dans les conversations ! A tel point que la petite fille qui grandissait parmi les articles de mercerie et les pièces de tissus, allait jusqu'à imaginer que la grande horloge normande du salon prêtait parfois ses aiguilles dorées pour participer à l'élaboration de précieux vêtements de cérémonie… C'était certainement pour cette raison qu'elle tombait quelquefois en panne, privant les occupants du logis de son tic-tac rassurant et de ses sonneries charmantes qui marquaient les heures et les demi-heures, pour que chacun puisse profiter au mieux du "temps qui passait", sans doute !

Car, pendant ces années d'insouciance, Clémence n'avait pas encore pris conscience de la fuite irréversible du maître TEMPS… mais, à présent, elle s'amusait à penser qu'un arrêt de ces pendules qui s'improvisaient, en tous lieux, "comptables" des heures d'existence d'êtres fatalement impuissants, ne pourrait équivaloir qu'à une sorte de "bonus" ! En effet, la faculté serait offerte de vivre, pour ainsi dire, "hors du Temps", aussi longtemps que les balanciers demeureraient ainsi immobiles, extérieurement comme à l'intérieur des logis !

Mais, sans quitter vraiment les rivières et les eaux de l'Eure, il faut faire place à celles de la Seine, ne nous éloignant pas encore de la Normandie, puisque l'auteur de ces réflexions vécut quelques années à Rouen, avant de s'installer à Paris et dans sa banlieue ! Il serait inopportun et injuste d'affirmer que la Seine est "malsaine" ou dangereuse, car le destin d'un seul individu, si particulier soit-il, ne saurait constituer un motif suffisant pour dégager des "généralités" et les établir ! Voyons plutôt cette Seine comme la suggestion d'un théâtre où, figurante involontaire, il fallait bien se "tenir en scène" ! A l'instar des comédiens qui voient leurs prestations récompensées par des tonnerres d'applaudissements, Clémence, sans être atteinte de surdité, en entendit fort peu qui ponctuaient ses "actes", bien qu'elle ait toujours "joué" son rôle consciencieusement et qu'elle ait été talentueuse même, elle aussi, dans divers domaines ! Le terme "joué" est à corriger, toutefois, car la sincérité, la candeur touchante dont faisait preuve "l'actrice" principale autorise largement le mot "tenu" à s'y substituer ! Oui, car elle "tenait" dignement son rôle, et "se tenait" elle-même de semblable façon !

A cette époque, le "fleuve TEMPS" brassait des eaux dangereuses, bouillonnantes, torrentielles et dévastatrices, manquant tout emporter par les passions, les chagrins, les épreuves qu'il imposait ! Et que ses "victimes" désignées aient résidé dans un château sur ses berges ou dans un modeste "pied-à-terre" (la péniche étant trop instable !), nul n'était à l'abri des surprises, des colères, des traîtrises d'un certain "courant" dévastateur auquel, même en courant…, il n'était pas possible de se soustraire ! Il faut bien dénoncer la tyrannie dont il fait preuve, ce "gouverneur", toujours aussi puissant, surprenant et redoutable ! Il ne nous désaltère un jour que pour mieux nous "assoiffer"le lendemain, alors qu'il ne cesse de "couler", insidieux et suggestif, jouant avec nos destinées, toujours contraintes à "naviguer" sur ses eaux, au gré de ses fantaisies et de son bon vouloir.

Heureusement, le sort ménage parfois des temps heureux de "navigation" et, lors de voyages dont elle raffolait, Clémence avait collecté d'excellents souvenirs de croisières et de promenades sur cet élément liquide : elle avait ainsi fait connaissance avec le Bosphore, la Mer Méditerranée, l'océan entourant les îles grecques ou les mers ballottant les Ferrys qui l'emmenaient en Irlande ! Elle avait également découvert avec plaisir le vaste Saint Laurent, impressionnant par le dynamisme de ses flots ! Mais, parmi ces évocations, une mention spéciale est à accorder également au "beau Danube bleu", aussi séduisant que peut l'être la valse de Yohann Strauss qui l'a pris pour thème ! Et, à l'intérieur même de la France, les grands fleuves, Loire, Rhône, Saône, tout autant que la multitude des rivières ou des humbles petits ruisseaux avaient toujours séduit l'infatigable touriste, à juste titre admirative de ces éléments fluides et décoratifs.

Parmi les multiples bruissements révélateurs de la proximité de l'eau, il en est un qui avait le don de réjouir et de stimuler Clémence : c'était celui des vigoureuses sources de montagnes, clapotant et cascadant sans cesse et dont la fraîcheur évoquée avait, sur son mental, les effets les plus bénéfiques ! Et puis, leur puissance évocatrice participait, elle aussi sans doute, à un inexplicable bien-être : des expressions, comme "remonter à la source" ou des suggestions d'analyse, par exemple, "connaître la source de…" (en excluant bien sûr, celle polluée de certains ennuis !). Bref, les sources, qu'elles soient paisibles ou qu'elles revêtent la forme de petites cascades, au sens propre comme au figuré, étaient appréciées et accueillies comme de charmantes compagnes bienfaitrices.

D'autres eaux avaient été côtoyées par notre promeneuse, sans qu'il faille nécessairement en conclure qu'elles étaient alimentées par le "fleuve majeur", entendez le TEMPS intarissable ! Je fais allusion là aux eaux plus stagnantes : celles des étangs, des mares dont les villages sont souvent abondamment pourvus et qui, de surcroît, offrent un refuge à une population d'oiseaux ou de petits animaux s'y baignant : cygnes, canards, sarcelles, crapauds et grenouilles, etc. Certaines forêts en étaient pourvues et, au Printemps, des concerts de coassements étaient généreusement donnés, à la surprise du promeneur soucieux d'emplir ses poumons de l'air tonifiant des sous-bois ! Enfin, d'une ampleur plus impressionnante, des lacs splendides avaient été visités par l'héroïne de ce récit et, pour n'en citer que trois, le lac d'Annecy, le lac des Settons, en France et celui appelé "lac Majeur", en Italie, puis d'autres encore d'une exceptionnelle pureté, en Yougoslavie, par exemple. Clémence avait même pu entrevoir les poissons résidents et les algues dans les profondeurs d'une incroyable clarté, lorsqu'elle avait navigué sur ces étendues d'eau ! Quel spectacle ce fut et quelle opportunité d'apprécier ce qu'est un véritable miroir liquide, en se gardant, toutefois, de confondre les mots s'épancher avec "se pencher", car la stabilité des barques n'était pas à toute épreuve !

Et puis, sans s'égarer en digressions, il est opportun d'ouvrir une parenthèse pour confesser, qu'au cours de ces périples et des rencontres qu'ils avaient permis, la narratrice avait eu l'occasion de découvrir que certaines manières d'être "submergée" peuvent être fort plaisantes ! Certes, elles appartiennent au sens figuré et c'est peut-être ce qui les rend si appréciables… En effet, lorsque la joie, la reconnaissance ou l'émotion nous "submergent", c'est toujours sans méfiance et plaisamment que nous cédons à ce flot, lequel, inopinément, se permet de nous emporter, mais pour un "bain" délicieux où le risque de noyade étant tout relatif…, nous pouvons nous "laisser couler" ! Indépendamment de ces vastes étendues, l'enfance de la narratrice avait été constamment "rafraîchie" par la présence de fontaines, de bassins (son village natal en possédait un au sein d'un jardin dit public, aménagé avec des rocailles où la verdure était abondamment suspendue et où, là encore, des petits poissons exotiques multicolores jouaient les vedettes auprès des admirateurs de tous âges qui se prenaient à rêver d'aquarium personnel !).

Dans la grande propriété familiale, il existait aussi un charmant petit bassin, aux formes arrondies, qu'avait aménagé avec goût le père de Clémence : il était bordé de pierres saillantes et de margelles qui tenaient lieu de jardinières. En effet, dans la terre qu'elles contenaient, le Maître des lieux avait eu la charmante idée d'installer des capucines vivaces et coquettes, semblait-il, puisqu'elles se penchaient imprudemment pour mirer leurs corolles au teint de flamme dans les eaux toujours claires et saines de ce joli bassin !

Et, passent l'enfance et l'adolescence… n'étaient des souvenirs vivaces et émotionnels que nous en conservons précieusement, tant que nous sommes épargnés par l'amnésie, le fleuve TEMPS emporte tous ces hier, tous ces moments vécus, quelles que soient leur intensité et leur richesse… Qu'en fait-il, alors, nous pouvons nous le demander ? Je le soupçonne, quant à moi, de les drainer vers l'océan primordial et d'être de connivence avec Poséidon, ce grand collecteur et ordonnateur de l'univers marin (peut-être faudrait-il "réactiver" le culte des Néréides pour s'assurer leur protection…).

D'autant qu'après l'adolescence, l'âge qualifié d'adulte qui lui succède avale les années à une cadence inouïe, tout du moins est-ce l'impression qu'en ont tous les "plaignants" qui se retrouvent aux portes de la vieillesse, sans savoir pourquoi ils ont parcouru si rapidement un aussi long chemin ! Ils auraient tant voulu faire plus souvent "l'école buissonnière" ! Bien sûr, au cours de cette longue route, au temps de la plénitude des forces et des désirs, ils ont dû "réaliser", soit des "plans de carrière", soit des parcours itinérants et nomades ou encore, pour les plus raisonnables, des "constitutions de foyer", etc. Bref, à force de toujours s'investir, de s'acharner à vouloir construire (quoi que ce soit !), ce sont autant d'occasions de ne plus réellement "s'appartenir" auxquelles ils ont été finalement confrontés, s'y trouvant quelquefois littéralement piégés ! Jusqu'à cet âge prétendu "mûr", lequel à l'instar des fruits, est le dernier stade où l'ultime opportunité de "croquer" (à défaut de pouvoir encor se laisser "croquer", soi-même !) doit être saisie, car, le processus n'est que trop connu, ensuite, les saveurs se gâteront, puisque, après l'automne, viennent toujours l'Hiver et l'inévitable gel, redoutable, voire irréversible !

Que fait le TEMPS pendant ces périodes de "dégradation" augurée ? Résolu et confiant en ses pouvoirs de destruction, il attend ! Si vous n'entendez plus aussi distinctement que jadis ses eaux clapotantes, c'est peut-être que votre ouïe… dit non ! Non, aux contraintes de l'écoute ou bien, plus probablement, qu'elle faiblit, hélas ! Que pouvons-nous souhaiter aux êtres amoindris, valétudinaires dont la résistance physique est sur le point de capituler ? Tout d'abord et surtout, que la souffrance leur soit épargnée ou, à tout le moins, qu'elle soit brève ! Et formons des vœux pour qu'ils puissent RÊVER, encore et toujours, oui, constamment, rêver et de plus en plus fort, peut-être jusqu'à imaginer s'approprier ce "chant du cygne" le faisant leur (ce "leurre" bienvenu pour un ultime départ) :

"Il était une fois une charmante dame, si lasse, tant exténuée qu'elle ne souhaitait même plus être capable de se tenir debout… Elle ne quittait donc plus la chambre spacieuse et luxueuse de son château où trônait un somptueux lit à baldaquin où elle se prélassait ! Elle l'avait fait installer dans la rotonde de la tour où d'immenses verrières lui permettaient d'admirer la campagne irlandaise environnante, après qu'aient été relevés les rideaux de velours vieil or qui auraient pu lui masquer le paysage, évidemment ! Aux pieds de ce château ( fort...ancien et majestueux !) coulait un grand fleuve impétueux, profond, qu'elle avait toujours traité tel un ami depuis des lustres, lui parlant et l'écoutant, désormais sans le voir, depuis qu'elle ne pouvait plus marcher pour se promener le long de ses rives…

Cette pauvre comtesse épuisée, agonisait sous des paupières semi-closes masquant de grands yeux de jade qui allaient bientôt cesser de voir les paysages verdoyants et vallonnés qui constituaient le parc de sa propriété, avait "ramassé" ce qui lui restait d'énergie vitale, pour mettre en scène, selon ses désirs, les tout derniers instants de son existence. Elle se voyait et se voulait endormie à jamais dans ce grand LIT à dais de satin vert, glissant délicieusement dans… LE LIT DU FLEUVE, rebaptisé "TEMPS", son confident de toujours où elle "coulerait" une éternité bienheureuse, elle n'en doutait pas un seul instant !

Et le jour mémorable vint où, lorsque sa femme de chambre pénétra dans l'appartement où elle était confinée depuis trois semaines, elle constata tout d'abord que sa maîtresse se reposait paisiblement : un sourire charmant, de bon augure, semblait-il, flottait sur ses lèvres et ses mains fines étaient posées sur les draps de lin bleu, délicatement brodés… Mais, en réalité, elle était endormie pour toujours, ayant entrepris selon ses vœux une "autre navigation sur un fleuve dont elle n'avait rien à redouter puisqu'elle l'avait apprivoisé de longue date…

Son parfum si délicat flottait encore dans la pièce et semblait, curieusement, en harmonie avec l'atmosphère étrangement silencieuse qui régnait, inhérente au deuil… Sans aucune intervention manuelle, le cartel ne ponctuait plus les heures, il s'était mystérieusement arrêté… par respect pour la défunte, sans doute…ou pour employer ses aiguilles dorées à une tâche ultime : coudre le linceul d'une grande dame amie !

Mais surtout, un touchant détail était révélateur : en effet, sur le plancher de chaîne ciré, un portrait ovale, encadré d'ébène, était tombé, brisant son verre protecteur : il avait libéré un visage d'homme, jeune et très beau qui, à présent, gisait au sol… après un dernier baiser, peut-être ? Il semblait bien être l'ultime vision qu'ait emportée la défunte, sans nul doute pour être accompagnée par l'Amour, sous les traits les plus plaisants… où qu'elle aille et à jamais !

Oui, c'était bien une "autre navigation" qui venait d'être entreprise et, si le nocher qui allait guider la chère comtesse avait les traits du prince charmant de ses rêves, elle n'avait rien à craindre ! Il saurait lui éviter le Styx infernal et les fâcheuses rencontres, comme celle de ce redoutable quêteur d'obole macabre, nommé Charon !

Le fleuve "Temps" s'était adouci puisqu'il était à présent devenu aussi paisible qu'intemporel et, s'il devait fusionner, ce ne serait plus avec l'amer/ la mer, mais avec un océan d'indicible félicité où le mot "engloutir" n'avait plus dès lors qu'un sens dérisoire et obsolète.

Monique VAAS      

Tous droits réservés - Monique VAAS - 2005

Mais, qu'est-ce qui cloche ?

 

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Sitôt après les fêtes de Pâques, sur un paquebot, vous embarquez, pour fuir "l'amer" quotidiennement servi... cependant que vous allez devoir y naviguer, sur la mer ! Situation paradoxale, voire cocasse, non ?

Le "Boss" vous a permis de "faire le pont"... aussi, à bord de votre "flotteur géant", vous ne vous en privez pas et vous l'arpentez joyeusement, tout en bavardant avec un "compagnon occasionnel", maniaque des contradictions qui vous gratifie soudain d'un "tu divagues!"... Il n'en faut pas davantage, hélas !, pour provoquer un malaise et vous faire "replonger" la main dans le tube de "nautamine" (mine de rien !), c'est qu'il est sensible, votre estomac (presque autant que vous qui l'hébergez).

De telles indélicatesses langagières vous mènent, contrainte et souffrante, à un "transat" où vous vous laissez choir littéralement, histoire d'affronter, sans risque de chutes, les remous, les embruns, les vertiges... bref, vous tentez courageusement de recourir, par l'esprit, à une certaine forme d'intemporalité salvatrice !

C'est alors que retentit à vos oreilles un léger carillon qui semble provenir du "pont supérieur"... Vous songez à en attribuer les sonorités aux effets secondaires des désagréments subis et des médicaments absorbés, lorsque vous parviennent des "voix", certes distinctes, mais bizarrement résonnantes et qui narrent une extraordinaire histoire émanant de cloches, embarquées elles aussi, mais incognito ! A Pâques, nous le savons tous, les cloches parlent ou font parler d'elles, quand elles ne voyagent !

Nos héroïnes conteuses sont au nombre de six... et elles ne rentrent pas précisément de Rome où la coutume les mène chaque année ! Non, non, pas le moins du monde car, en riant, elles affirment "à la volée" : qu'il n'y a Pâques..., pas que les chocolats qui soient un régal et Pâques... pas que le prestigieux Vatican et la Chapelle Sixtine qui soient encore dignes d'un pèlerinage ! Ainsi, vous ne tardez pas à apprendre que ces voyageuses dévergondées ont navigué sur le Bosphore, (récurrent "bosse fort", non?), bref, qu'elles reviennent tout bonnement... de Turquie ! Car, histoire de faire un peu de tourisme, les édifices ciblés 2005 étaient : Sainte Sophie et la magnifique Mosquée bleue ! Bon, entendons-nous, pour inhabituels qu'ils soient, ces objectifs ne pouvaient constituer matière à déclencher une guerre de religion, car, selon la sacro-sainte formule de ralliement, si "tous les hommes sont frères...", toutes les Cloches peuvent bien être universelles, curieuses et baladeuses ! Par ailleurs, pour enrichir leurs connaissances, il fallait qu'elles se mettent en en quête "d'éléments de comparaison", qu'il s'agisse d'architectures ou d'us et coutumes ! Ensuite et, sans fausse modestie, elles revendiquaient un titre paré d'un zeste d'intellectualisme, pour donner cet éclat incomparable et enviable à leurs bronzes d'origine (une sorte d'aura, bien à elles).

Et puis, confiaient-elles, facétieuses, se sachant attendues partout en France par des milliers de gourmands, peu ou pas catholiques, elles avaient voulu innover, rompant avec les traditions, pour mettre cette année un "holà... aux chocolats" ! C'est pourquoi elles rapportaient, autant que pouvait en contenir leur habitacle protecteur, devinez un peu quoi ? : des loukoums, mais oui, vous avez bien entendu, des loukoums, car, ne sont-ils pas, eux aussi, d'appréciables "douceurs", à la fois colorés et savoureux ! Puis "dans le cadre des échanges entre pays voisins et amis", comme il y a désormais les euros, pourquoi ne pas faire circuler les loukoums ?

Mais, pour en revenir aux évènements, plus volubile que ses consœurs, une Cloche narrait à présent la stupeur du muezzin, lequel avait eu le souffle et la parole littéralement coupés au cœur de ses exhortations par un carillon aussi surprenant qu'intempestif ! Une Cloche effrontée et catholique française, de surcroît, l'égrenait sous la coupole de la prestigieuse Mosquée Sainte Sophie, faisant preuve d'une audace inouïe et d'un irrespect le plus total des traditions ! Les Arabes présents, tous prosternés, ne s'en relevaient pas... Quel scandale ! Les reines incontestées de nos majestueux clochers avaient-elles perdu la raison, si tant est qu'elles en aient jamais été dotées en plus de leur fabuleuse résonance !

Dès lors, nul sujet de discussion ne l'emporterait à Istambul, dans les jours à venir, sur un événement aussi incroyable, sur une folie d'une telle "originalité ! A côté de cela, relégués au second plan risquaient bien d'être les performances des Derviches tourneurs, les Trésors de la civilisation Hittite du musée d'ANKARA ou ceux du prestigieux Palais de TOPKAPI et même, les mystères inhérents aux phénomènes naturels des cheminées dites "de fées" en Cappadoce. Car, s'agissant de valeurs, soudainement l'or, les diamants ou les pierres précieuses des civilisations anciennes semblaient avoir perdu jusqu'au sens du mot "éclat", tellement affaibli, face à cet autre "coup d'éclat" (ou même coup d'Etat !) dont les instigatrices n'avaient pourtant, pour oser soutenir la comparaison, qu'un authentique bronze gravé à offrir ! Mais, quant à son retentissement, il prenait un tel essor, qu'il risquait bien d'ébranler les opinions, les convictions et ne laisser personne indifférent, au sein des communautés religieuses que venaient de "survoler" les Cloches irrespectueuses !

Les conséquences immédiates et les perspectives de répercussions d'un tel "succès" les avaient tant grisées qu'elles en vibraient encore... et que l'émotion qui les agitait en demeurait... audible, ô, combien ! Aussi, pour recouvrer leur calme et peut-être leur "vocation originelle" (encore qu'elles étaient à présent déterminées à rompre avec une monotonie jugée inacceptable...), les Cloches se mirent à évoquer certaines anecdotes charmantes et non dénuées de fantaisie, ayant un rapport avec leurs projets d'avenir. En effet, cinq d'entre elles souhaitaient... changer de clocher, rien de moins ! Les cathédrales et basiliques étaient trop bruyantes, trop vastes pour communiquer... les Cloches résidentes s'y plaignaient d'isolement et d'une évidente incompréhension, regrettant, par ailleurs, (exception faite de quelques campaniles privilégiés) le manque de proximité d'arbres qu'elles souhaitaient bruissants et peuplés d'oiseaux !

Les monastères et les abbayes étaient en régression, dans les votes : certain vent glacial y soufflant dans les clochers, qu'ils soient gothiques ou romans ! Aucune, parmi les Cloches dynamiques et malicieuses s'exprimant ici, n'y trouvait matière à s'épanouir et le "ton de gravité" était à exclure d'emblée du registre de leurs sonorités ! Non, mais, et pourquoi pas le "glas", pensaient-elles ! La Cloche numéro 3, baptisée "La Ribaude" avait quitté son prestigieux clocher normand dit "Tour de Beurre, sans trop de regret. Pourtant, le ciel rouennais résonnait encore des prouesses de son sonneur attitré, mais elle avait vocation de s'installer modestement à présent au sommet d'une romantique église campagnarde et néogothique, lovée au sein d'un bois ! En effet, elle savait y partager désormais ses heures de loisir avec... une Chouette fort séduisante, laquelle, insistant pour la rejoindre, était devenue son amie bien que, par souci d'honnêteté, elle l'ait informée qu'elle serait souvent "assourdissante" (à son corps défendant) et que l'oiseau risquait d'y perdre l'entrain, voire l'appétit, sinon ses tympans et quelques plumes ! Rien n'y faisait, celle qui voulait devenir sa fidèle compagne répondait simplement et de manière rédhibitoire : "sache bien, jolie Cloche, que si la Chouette... "effraie" dit-on, rien ne l'effraie, quant à elle ! Ah, ces rapaces, quelle détermination, quelle classe ! Ils méritent bien un droit de cité : rapacité oblige !

Avant de conclure, pour sceller une alliance avec ces charmants rapaces (dignes représentant de la famille des strigidés), gageons que nos Cloches, généreuses elles aussi, donneront à leur retour des concerts nocturnes où certains hululements se mêleront désormais, en toute harmonie, à leurs carillons joyeux et sonores, orchestrés, qui sait, par un "grand Duc" novateur, paraît-il... Vous y êtes tous invités, d'autant que le programme doit inclure le récit intégral de leurs exploits récents, récit intitulé " Pâques à Istambul", narré sans fard (et sans accompagnement musical, pour une meilleure compréhension des faits !) Il va sans dire qu'une distribution des fameux loukoums est également prévue, "chouette" !

Quant à moi, je vous chouette... pardon, je vous souhaite de joyeuses Pâques 2005, que vous acceptiez de vous priver de chocolats ou pas !

N.B. : bien sûr, l'association des mots "Cloches/Art" n'est pas uniquement attestée sous les ponts de Paris... Certes, les authentiques et nombreux Clochards ont l'occasion (est-ce un privilège ?) de pouvoir, là, se "faire sonner les cloches" et entendre vibrer les carillons de la cathédrale séculaire, Notre-Dame, la prestigieuse. J'espère seulement qu'elle s'ingénie davantage à les protéger, charitablement, qu'elle ne songe à les assourdir !

Monique VAAS     

Tous droits réservés - Monique VAAS - 2005

Le Père Noël ... face aux techniques "évolutives"

Interview...

Je m'apprêtais à partir pour la Laponie où vivent les RENNES les plus vigoureux et les plus aptes à former l'attelage de notre dévoué Père Noël lorsqu'un rêve à l'aspect prémonitoire me conduit à réfléchir... et à différer mon envol pour les pays scandinaves, jusqu'à plus ample informé. Le Progrès, cet arrogant manitou, campé devant moi, m'avertit qu'une certaine évolution des us et coutumes pourrait bien me ménager des surprises et qu'au lieu d'envisager un voyage dans le grand Nord, je serais mieux avisée de demeurer en France... car des préparatifs étaient effectués en cette mi-décembre, sur certaine base aéroportée où régnait une agitation singulière et significative... Bref, mon interlocuteur finit par me confier que l'illustre Père Noël, ce bienfaiteur tant attendu, n'effectuait plus ses déplacements en traîneau, mais en... supersonique ! Et chose encore plus insolite et mystérieuse, qu'aucune soute d'avion n'avait besoin, cependant, de se substituer à la hotte traditionnelle, cette inépuisable corne d'abondance étant devenue obsolète ! Ainsi, si je l'estimais irremplaçable, je ne devais pas m'en affecter car les objectifs à atteindre n'en étaient pas moins garantis de l'être, conclut-il, mais avec une nouvelle présidente : la Modernité !

Troublée par ces révélations dont je ne savais pas encore de quelle manière elles risquaient d'influencer mon reportage de Noël, j'oscillais entre incrédulité et précautions à prendre, voire modifications des voies d'accès à emprunter... Devaient-elles, à présent, n'être plus essentiellement qu'aériennes ? Au lieu des rennes magnifiques qu'il me tardait d'approcher, ne verrais-je que d'immenses "oiseaux", bruyants et métalliques, de surcroît ? Déjà, la MAGIE toujours fidèle et si souvent côtoyée, paraissait m'ôter son soutien... Je ne percevais pas sa présence, alors que s'éloignait ce Progrès, messager visiblement ravi du trouble qui m'agitait et dont je lui étais redevable ! Me frottant les yeux, j'analysais ce qui flottait encore dans une atmosphère glaciale... inhérente à la saison, certes, mais pas seulement !

Je connaissais les vertus d'une réflexion approfondie, laquelle doit toujours précéder l'action, quelle qu'elle soit et je n'ignorais pas la propension qu'ont les individus à vouloir étayer d'arguments plus ou moins solides des comportements exagérément frileux ! Ce qui m'importait avant tout demeurait la réalisation d'un projet consistant à enquêter sur la manière dont le brave Père Noël menait à bien sa mission. Ainsi, à l'orée de ces années "de mil"... (d'épeautre et autres céréales...), une foultitude d'enfants - petits et grands - avides de gâteries insolites espéraient sa venue, lui qui, toujours, cherchait à exaucer tous les vœux, estimant prioritaires, cependant, ceux qui émanaient des plus démunis, des plus humbles ! Après tout, qu'un modernisme en pleine santé ait imposé sa loi aux moyens de transports classiques auxquels nous étions accoutumés pour nos envolées saisonnières n'était pas si grave ! Seul, l'aspect féerique risquait d'en souffrir car la rapidité, la fiabilité et certain pied de nez aux intempéries résidentes constituaient des atouts qui plaidaient en faveur de ces innovations, sans reléguer au second plan le confort dont le visiteur, voyageur infatigable, allait pouvoir bénéficier et qu'il méritait bien !

Je décidais de retrouver les RENNES plus tard (par exemple, dans les émissions animalières télévisées où ils faisaient parfois de la figuration ! ) et de découvrir, très vite, sur quel aéroport allait atterrir l'avion sophistiqué et ultra-rapide, spécialement affrété pour cette joyeuse et incontournable distribution des cadeaux de Nöel, par le plus généreux, voire le plus inspiré des donateurs à la barbe neigeuse ! D'instinct en quelque sorte, je réussis à localiser l'aire spécifique où devait régner une fébrile agitation... et, pressée par l'urgence de ma mission tout autant que par une impatience qui me fréquentait assidûment, je parvins à atteindre "la base" ! Je ne tardais pas à découvrir le personnage-vedette, objet de mon enquête et de ce déplacement : pourtant, son aspect était surprenant car l'incontournable tenue vestimentaire où cohabitaient d'ordinaire le rouge et le blanc avait cédé place au gris métallisé d'une impressionnante combinaison de passager d'engin supersonique ! Ah, par exemple ! L'identification n'était plus évidente et, sans la présence d'une exubérante barbe blanche, j'aurais hésité à adresser la parole à ce Père Noël des temps modernes, dépossédé de sa tenue coutumière... n'étaient des yeux d'un bleu d'azur intense et pétillants, de malice autant que de bonté, qui surent me convaincre que c'était bien LUI qui se tenait là, devant moi, dans cet extravagant costume ! L'ayant salué timidement, j'en eus d'ailleurs la confirmation et, pour atténuer l'effet de la surprise qui se lisait sur mon visage, il dégrafa rapidement son survêtement "aluminisé" pour m'apparaître, souriant, et conformément à cette tenue habituelle l'identifiant : retour au rouge et blanc et à la tradition !

Il me prit par la main pour me conduire en un lieu plus tranquille où des sapins et des oiseaux (à plumes, ceux-là !) constituaient un décor rassurant. Après quelques préambules, je lui fis part de mes souhaits et, comme je m'étonnais de l'absence de la hotte quasi-miraculeuse et coutumière, il me fit remarquer fort justement que les temps de Noël et de la réalisation des rêves de tous ceux qu'il nommait "ses enfants" ne perdraient rien à s'affranchir d'anciennes coutumes ! Ne relevaient-ils pas, en quelque sorte, de l'immuable pratique de Charité intemporelle, magique, plus que des apparences... Il m'assura qu'il était doué de pouvoirs illimités et que la FOI et la candeur tenaient lieu de clés ouvrant toutes les portes sur un univers de possibilités surprenantes et infiniment étendues...
Le concret n'étant pas un mot absent de son vocabulaire, il me fit une démonstration que ma crédulité naturelle et inconditionnelle n'exigeait pas : il étendit ses deux bras entre lesquels surgit une sorte d'écran où vint s'installer un splendide paysage champêtre. Il s'agissait d'une immense prairie bordée de pommiers fleuris et cette étendue était émaillée de bleuets, de pâquerettes et de rougeoyants coquelicots sur lesquels voltigeaient joyeusement une multitude d'alouettes bavardes et de papillons multicolores ! Et, dans ce merveilleux décor, deux petites filles, l'une brune et l'autre blonde (qui n'étaient autres que ma sœur et moi, enfants insouciantes) se tenaient par la main, courant et sautant éperdument dans les herbes folles, avec des rires cristallins, leurs cheveux fous voltigeant où se reflétait un capricieux soleil normand ! J'étais subjuguée, émerveillée et j'entendis ce commentaire du Père Noël : "alors, n'ai-je pas tout compris ? cette image correspond-elle aux rêves d'innocence et de pureté originelles que tu n'as cessé de nourrir ?". La tendresse, la beauté et la joie y dominent qui trouvent un écho en ton cœur, car mon regard, tu n'en doutais pas, agit tel un scanner : qu'en dis-tu ?". Oh, rien, rien, répondis-je médusée, car votre perspicacité me rend humble et admirative, sinon muette ! "Bien, et ton interrogatoire, ajouta le facétieux Père Noël ? Je l'attends...".

Merci. Et bien... voulez me dire alors comment sont formulés à présent les vœux de vos adeptes et comment vous tentez de les exaucer ... La fameuse "lettre au Père Noël" vous est-elle encore adressée... timbrée ou dispensée d'affranchissement ? Les techniques modernes influencent largement les us et coutumes, répond alors mon illustre interlocuteur, tu viens d'en avoir la preuve et les moyens mis à la disposition des demandeurs s'en inspirent, à telle enseigne que l'e-mail remplace très souvent la charmante petite lettre ! Je me déplace sans cesse et très vite et il m'arrive d'exaucer, sans aucun préalable, les désirs d'une personne visitée, au hasard de mes périgrinations ! J'use de mes facultés pour percer les intentions, deviner ce qui ferait plaisir et détecter quel objet est convoité ou encore, pour quelle bonne action à accomplir mon aide est sollicitée. Et j'ai recours, entr'autres accessoires, à ma "baguette" qui peut être qualifiée de magique et qui pointe droit sur l'objectif, sans hésitations, ni tricherie !

Par exemple et puisque tu es là en ma présence, regarde comment je peux agir pour te procurer le cadeau que tu souhaites offrir je projette un nouveau paysage sur ma "cape-écran", pour fixer le lieu de destination de la bonne action à accomplir et, en ce qui te concerne, il s'agit géographiquement des montagnes d'Afghanistan où de pauvres enfants blessés et démunis tentent de survivre. Tu vois, ces deux petits frères handicapés qui ont sauté sur l'une des innombrables mines dont le sol de leur pays regorge et qui les mutile ? Oui, oui, j'ai deviné que tu voudrais leur offrir des prothèses, ces sortes de coûteux et rares appareillages pour les aider à se déplacer et qu'ainsi, leur infirmité leur paraisse un peu moins insupportable ; c'est bien ce que tu désires, n'est-ce-pas ? Alors, tu seras exaucée et je vais partir offrir à ces malheureux petits deux membres artificiels en ton nom ! Je les photographierai dans leurs montagnes et te rapporterai leur portrait, ce sera la plus touchante récompense qu'il te tarde de recevoir, je l'ai compris aux battements de ton cœur !

Oui, je connais ton attachement aux anciennes coutumes et je sais combien les Noël traditionnels évoquent de souvenirs attendrissants, à telle enseigne qu'ils auront toujours ta préférence… La Nostalgie n'est pas totalement responsable de cet état de fait car tu estimes, n'est-ce-pas, que lorsqu'une "qualité de vie" atteint l'équivalent de la perfection, il est presque aberrant d'y "retoucher" et qu'un esthète se doit de tout faire pour la préserver? Je suis d'accord avec toi, cependant, la sacro-sainte relativité a, là encore, un "droit de citer" car la diversité des êtres et des climats implique une souplesse et fait intervenir la tolérance… Ce qui vaut pour tes convictions peut être rejeté par d'autres individus, ailleurs… Et je me dois de tout entendre et de m'adapter, après avoir analysé les demandes et les motivations, cela va sans dire ! Et puis, sois sans crainte : il m'arrive encore bien souvent de recourir aux anciennes méthodes et, dans les campagnes des divers pays que je visite, je passe encore par les cheminées (bien ramonées !) pour déposer des cadeaux aux pieds d'immuables et féeriques sapins, chargés de guirlandes et scintillant d'une multitude de lumières, paradisiaques pour les plus humbles ! En matière de bonheur, d'émerveillement, le progrès, l'innovation, comme l'application de techniques sophistiquées ne garantissent nullement le succès et pas davantage que la réjouissance pure, inégalable et innocente, visitera l'âme des inconditionnels du changement et des originaux de tous/tout poils, toujours en quête d'inédit et de sensationnel !

Je vais te citer quelques anecdotes qui illustrent que la Candeur n'est pas une vertu en voie d'extinction, fort heureusement ! Parmi les cadeaux qui étaient sollicités l'an passé, j'ai consenti à offrir : de merveilleux livres de contes… : à des adultes, (style Andersen) qui m'ont confié prendre de plus en plus de plaisir au récit de ces aventures où le fabuleux, la beauté et la morale tenaient les principaux rôles. Plus ils vieillissaient, disaient-ils, plus l'irréel, le fantasmagorique, l'évanescent les attiraient, plus ils se sentaient en adéquation avec des récits dont nul - hormis l'auteur – ne pouvait attester qu'ils ne relevaient pas de l'intemporalité, qu'ils n'émanaient pas de quelque magicien possédant un art consommé de la "félicité suggérée" ! Peu importait : l'évasion qui leur était offerte n'avait aucune équivalence chez les voyagistes les plus ingénieux ! Accéder à des pays de rêves était le plus joli présent à offrir pour Noël à ceux ou à celles qui souffraient de profondes blessures, tant morales que physiques, tous ces êtres meurtris que la toute-puissante Réussite et son acolyte abusivement nommé "le Succès" avaient oubliés, froidement, cruellement, sans aucune raison valable.

Le compatissant Père Noël ajouta : "les détresses, comme les formes diverses de paupérisme nécessitent parfois de patientes enquêtes avant de pouvoir y appliquer un baume ou entreprendre une action quelconque et, autant il est vrai que je suis "planté" là, provisoirement devant toi, mes multiples déplacements depuis tant de lustres et aux quatre coins du globe n'ont pas épuisé l'infinie variété des besoins touchants à satisfaire ! Je n'en dresserai pas une liste, quand bien même elle serait forcément non exhaustive, mais je suis également très attentif à une certaine catégorie de "misérables", lesquels, hélas, n'expriment plus de désirs ou de vœux, comme s'ils s'étaient résignés ou exclus des ayants droit à la moindre parcelle de bonheur ! Ces désespérés croupissent sur des lits d'hôpitaux où ils ne sont plus visités… et, s'ils rêvent encore quelquefois, c'est à un ange salvateur qui veuille, enfin, les convier à un ultime voyage au "pays de "la Sérénité aux paupières closes…" ! Or, là, vois-tu, j'ai une mission prioritaire à accomplir : elle consiste à dissiper la souffrance de ces êtres abandonnés, non seulement pour Noël, mais avec des effets… de longue durée ! Je distille dans leurs cerveaux (où plus aucune lumière ne filtrait), l'une de ces médecines dont je m'enorgueillis, car elle est indolore, bienfaitrice et, pour tout dire, vraiment magique ! Permets que je n'en dévoile pas la recette, imagine seulement qu'apaisés, ces grands enfants-vieillis, brisés et sans vigueur recouvrent une faculté qui avait déserté : celle de s'émerveiller devant des milliers d'images de tous/tout ceux/ce qu'ils ont aimé, réalisé, leurs plus chers désirs imbriqués à la réalité pour gommer tous leurs échecs et les impossibilités d'une vie de labeur et de souffrance ! Comme je suis heureux de les voir sourire, sans cesse, endormis dans ces rêves où je les entraîne… J'ai le sentiment de leur offrir "l'échappée" joyeuse grâce à laquelle ils vont bientôt "partir", sereins, sans même l'appréhender ! Et, au risque de te paraître un peu vantard, je suis bien le seul à pouvoir, gratuitement et sans autorisation préalable, administrer des soins semblables en des milieux souvent in…hospitaliers !

Ah ! Bravo, Père Noël, vous me donnez un aperçu de vos occupations dont les débordements dépassent mes plus folles espérances et m'enchantent littéralement ! Si vous saviez combien j'adhère à vos priorités et à vos méthodes, car le souhaitant si vivement, j'avais anticipé, en quelque sorte, puisque je vous imaginais bien "poursuivant de vos assiduités" tous ces enfants - même vieillis et découragés - qu'ingénument et jusqu'au terme de l'existence, nous demeurons, pour la plupart ! Je n'entrevois qu'une seule revendication inadéquate qui soit susceptible de vous dissuader d'agir : celle du titre d'adulte… aguerri, lorsque, bien sûr, il n'est pas assorti d'humilité (cette tendre touche de rose où la candeur peut toujours trouver refuge et Vous, cher Père Nöel, motif à intervenir !).

Votre éthique et l'étendue de vos pouvoirs sont telles qu'après notre entretien et les confidences que vous m'avez permis de recueillir et dont je vous sais gré, je vous promets d'attacher désormais bien moins d'importance à vos moyens de transport et à vos tenues vestimentaires, Père Noël, qu'à la générosité de vos objectifs et à celle de vos "champs d'actions", fussent-ils enneigés ! Et voyez-vous, à présent, je ne serais pas même intriguée si vous envisagiez de visiter les nues en soucoupe volante… pour y secourir des âmes en détresse ou vous faire l'artisan de retrouvailles durables, puisque intemporelles ! Les myriades d'étoiles et la splendeur d'astres complices étant tout aussi féeriques que cet équipage de rennes attachés à votre service et dont j'ignore s'ils auraient pu – pour vos escapades éthérées –se métamorphoser en Pégase/s ! Mais, pourquoi pas, après tout, que ne pourriez-vous accomplir lorsqu'il s'agit de mener à bien une mission comme celle qui vous motive depuis la nuit des temps.

Avant de prendre congé et de nous séparer, mon illustre interlocuteur me dit malicieusement : "j'ai un petit cadeau pour toi, que je sais éprise d'objets antiques. J'ai rapporté de mes voyages en Italie, en toute légalité, un précieux objet de fouilles effectuées sur le site de Pompéi : il s'agit d'un STYLET qui a dû traduire bien souvent d'émouvantes pensées sur ces tablettes d'argile ou de marbre qui tenaient alors lieu de supports aux écrits ! Je te l'offre donc, pour sa lointaine provenance et pour ce qu'il symbolise, persuadé que tu l'apprécieras infiniment. Puisque tu as su moderniser, toi aussi, les moyens d'expression mis à la disposition du conteur, la fidèle souris de ton ordinateur n'a rien à redouter d'un accessoire aussi fascinant qu'il est désormais obsolète.

Tu sauras, j'en suis persuadé, lui accorder les soins et le repos qu'il mérite, ne le vouant qu'à ta contemplation personnelle ! Et puis, si j'ai bonne mémoire, n'as-tu pas écrit un poème, en l'honneur de ce stylet ? Tu n'as pas fini de laisser vagabonder ton imagination, lorsque tu vas caresser du regard ce trésor du passé ! Puisses-tu en être heureuse et passer un JOYEUX NOËL !".

Merci à Vous qui êtes, permettez-moi cette expression, un "faiseur de miracles". Je vous adresserai par e-mail mon poème sur le stylet, pour vous remercier du fabuleux cadeau que vous m'avez offert. Notre entretien m'a apporté beaucoup plus que je n'aurais osé l'imaginer et je vous salue respectueusement, Père Noël, avant que vous ne revêtiez votre impressionnante combinaison pour regagner le supersonique étincelant dont vous êtes, sans conteste, le plus magicien et le plus généreux passager !

Monique VAAS.      

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